Bien vieillir dans sa maison
Pour le philosophe Emmanuel Levinas (1988), l’homme se tient dans le monde à partir d'un dedans qui est attention à soi-même. Cette intimité se déploie dans la maison objet (construction physique) mais ce déploiement ne serait pas possible sans l’existence d’une intériorité humaine. Le monde objectif ne se situe pas par rapport à ma maison construite mais par rapport à mon intériorité.
Le psychologue François Vigouroux reprend cette idée en considérant que « si nos maisons nous demandent de les aimer et de les reconnaître, c'est parce qu'elles nous demandent de nous aimer et de nous reconnaître nous-même. »
La maison est nécessaire à la vie humaine, mais tant qu’elle n'est qu'ustensile, la maison ne sera pas 'chez-soi'.
Construction du « bien chez soi » au fil des âges
Du milieu du Moyen Âge à la fin du XVIIe siècle, le territoire du privé est pratiquement inexistant. Il n'y a pas de séparation réelle entre vie publique et vie privée : ce qui ne peut être fait chez soi par manque de place est fait dehors, donnant à l’espace privé un caractère public. L'usage de la maison comme lieu de travail renforce la continuité des territoires d'expression de la vie sociale. L’annexion de la rue par les petits métiers est le prolongement naturel d’activités de travail chez soi.
Jusqu’au XVIIe, la société est la règle et la solitude l’exception
A partir du XVIIe, la réflexion sur soi, la volonté de choisir ses interlocuteurs et ses amitiés conduisent les constructeurs à repenser les plans intérieurs des habitations : la partition des espaces est faite pour favoriser la vie de famille, offre plus de liberté à l’expression de soi et sert une nouvelle conception de la pudeur. L’espace public reste dans la rue, l’intérieur est différencié. Le choléra de 1832 a accéléré ce processus quand les médecins bataillent contre le lit collectif et la promiscuité, facteur de développement de l’épidémie.
L'ère du « bien chez soi »
Le XXIe siècle va encenser la famille et l’intimité au point de disqualifier la rue au profit de la maison. Avec des conséquences sur la relation humaine dans les villes : la grande surface commerciale et la e-boutique sont préférées au petit commerçant de la rue, les centres-villes se désertifient ; bon nombre des cœurs de villes se transforment alors en espaces de présentations et de croisements. Les personnes se réunissent autrement en groupes d’activités et les média-sociaux s’installent dans les foyers.